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MILITAIRES TERRE:
Prise de terre
Article par 'S.B.' la Revue des Montres, Special Eté 1994, 75008 Paris, 122, avenue des Champs-Elysées

Pendant la premiere guerre mondiale, les combats avaient pour terrain principal la terre ferme, Les Poilus volaient peu, nagealent encore moms, mais creusaient et ferraillajent beaucoup. éest pour eux que les montres-bracelets ont été créées. Lors des guerres suivantes, elles n'ont eu de cesse de s'améliorer sous l'impulsion des différents gouvernements. Résumé des faits d'arme d'une révolution en son genre.

Au debut du XX siecle, l'Europe compte 450 millions d'habitants. En queue de pie ou en sabots l'esperance de vie d'un Francais moven d'une grandeur intermediaire et de condition ordinaire est de 43 ans. En 1905, le tango fait scandale a Paris et Alexandre Jacob, gentleman cambrioleur, comparait devant les tribunaux. Il ne tarde pas a prendre du galon sous la plume de Maurice Leblanc, que le baptise Arsene Lupin. En 1910, la perspective du passage de la Comete de Halley suscite l'effroi. On enregistre trois cas de figure: Le suicide en famille, la priere en groupe ou 'orgie pure et simple. Mais la comete ne provoque rien de plus qu'une trainee de feu dans le ciel.

D'ailleurs, cette nuit du 18 mai, il y a un crachin qui nuit a la visibilité. En 1914, la television est inventee. Jusque a tout va bien il n'y a qu'une chaine. Il y a toutefois une tension qui regne en Europe, tension dont l'Allemagne est responsable. La France ne lui a jamais pardonné l'amputation de l'Alsace et de la Lorraine en 1871. Il suffirait d'une etincelle pour que la poudriere explose. éest un etudiant bosniaque qui allume la meche en assassinant Francois-Ferdinand d'Autriche, le 28 juin 1914, a Sarajevo. Par consequent, l'Autriche declare la guerre a la Serbie et a la Russie. L'Allemagne, de connivence puisqu'alliée, s'y met et declare son lancéflamme a la France et a a Russie. En reaction, la Grande Bretagne associée au Japon, s'en prend a 'Allemagne. Petit a petit, les belligerants vont creer des emules aux quatre coins de la planete. Ca s'empoigne, ca se tire dessus, ca fonce sabre a la main, tete baissee et ca se roule dans la poussiere dans toutes les langues. Entre casque a pointe et Poilus, la moustache belliqueuse.

En ces temps troublés, les montres se lovent encore dans les goussets. Ce qui, avant les hostilités, etait trés en vogue, devient peu pratique ou carrément dangereux. Les soldats qui partent au front portent une tunique, sous une capote, et leur barda dans le dos a l'aide d'un harnais croisé sur la poitrine. Or, pour charger a l'heure prevue, rapiere a main gauche et grenade a main droite, en remettant son nignon dans le gousset, sous le manteau militaire, il faut s'appeler Houdini. On denombre bien un ou deux contorsionnistes engagés, mais ils ne sont pas légions. Une solution s'impose. La montre-bracelet, tiens, ca éest une idée. Mieux, une idée lumineuse puisque les montres-bracelets s'enorgueillissent d'aiguilles peintes au radium. éest en 1898, que Marie Curie avait decouvert... Donc, les fabricants horlogers sont priés de fournir des montres-bracelets. Entre 1915 et 1916 une espece de catalogue bourré de Publicités et de petites annonces en tout genre, Manufrance, propose aux Poilus d'acheter la montre des Poilus, par correspondance. Le type 75, en référence au canon de la victoire qui faisait un carton en 14-18. la montre des Poilus est en fait une montre classique, sur laquelle on a soudé deux anses qui permellent d'y passer un bracelet mince comme un coup de vent, d'une largeur d'environ 10 mm.

Certaines ont une grille qui protege le verre du cadran et empeche les reflets. Une maniere d'éviter d'etre la cible des artilleurs ennemis. Il s'agit certes de réfléchir, mais pas n'importe comment. L'avénement du bracelet présente un autre avantage. Avant, quand un soldat recevait un éclat d'obus au niveau du gousset, la montre accompagnait le mouvement, direct dans l'abdomen. Il s'est bien trouvé des soldats pour clamer que leur montre de poche leur avait sauvé la vie, en arrêtant une balle, mais ceux-la avaient un ange gardien de secours. Quant aux autres, en chirurgie, éest de la ferblanterie et de la verroterie qu'on extrayait de leurs entrailles. Aucun risque de ce genre avec le nouveau systeme. De surcroît, les modèles flambants neufs ont des cadrans blancs ou noirs et des chiffres a défier un aveugle. Grands, les chiffres. Les couronnes de remontoir ont aussi des dimensions hors normes pour que le soldat ganté ne tâtonne pas pendant trois quarts d'heures, en essayant de remonter sa montre. Le temps ici, éest la vie. Ajoutons un cadran de secondes a six heures et le tour est joué. Désormais, l'officier et le simple combattant peuvent verifier l'heure d'un coup d'ceil. Vital pour voir quand se termine le barrage d'artillerie et monter a l'assaut. Dans un bel éIan patriotique, beau-coup de marques participent a l'effort de guerre. Qu'ils soient fantassins, artilleurs ou du corps des transmissions, les guerriers de l'armée de terre sont pourvus de montres, pas toujours réglementaires. éest-a-dire qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un contrat avec l'armée et ne repondent pas a un cahier des charges, comme les Lip. Peu importe.

Depuis 1912, Elgin fourbi ses montres pour le compte du corps des transmissions, ensuite éest a la Hampden Watch Company, a Ingersold eta Tissot que l'on fait appel. (Des Tissot, I yen a jusqu'en Russie. En 1913, sa majesté l'Empereur en offre une a un officier des Lanciers. éest une montre de poche en argent). On reconnâit ces commandes spéciales aux mots US Signal Corps inscrits sur le cadran blanc. Ce sont les premieres montres reglementaires des Sammies.

Il faut dire que chez les British et les Américains, on distribue des montres aux soldats comme si éétait des chocolats, chacune étant immatriculee et estampillee US Army ou US Property. Elles font partie du matériel, au meme titre que la boussole ou le fusil. Les productions anglaises sont frappées de la Broad Arrow, en forme de fleche comme son nom l'indique, gravée sur le fond de la montre, parfois peinte sur les cadrans. Certaines alignent, en plus, une serie de lettres a la signification aussi nébuleuse que le smog londonien, une nuit a rescussiter Jack l'Eventreur. D'autres encore portent l'indication Patented, suivie d'un numéro. En ce qui concerne le nom du fabricant, le champ des supputations est aussi vaste que le Colorado puisque rien en ce sens n'est inscrit sur le boitier, ou rarement. On sait qu'IWC realise une montre de soldat, au cadran emaillé et aux chiffres lumineux, revêtue d'un couverde anti-chocs décoré du portrait du maréchal Hindenburg. Movado assure des commandes militaires avec sa montre du soldat, Hamilton repond aux nécessités militaires avec ses bracelets-montres d'une grande qualité. Longines sort des boussoles d'artillerie et de gousset, faconnées de blanches mains feminines. Les hommes ayant d'autres chats a fouetter, des chats teutons en l'occurence. Et Ingersoll produit plusieurs modeles principalement destinés aux officiers qui ont besoin de synchroniser l'action de leurs troupes.

1917 marque l'implication des Américains dans la grande guerre. Voyant que l'aftaire s'embourbe, le président Wilson envoie ses troupes a la rescousse des Poilus. Cartier célébre l'apparition des monstres blindés alliés a sa maniere en créant la Tank et Washington ouvre a Berne un bureau d'achats pour le corps expéditionnaire américain. éest Vacheron & Constantin qui se trouve en premiere ligne : la marque est bombardée fournisseur attitré. En vertu de quni, les boites s'harnachent d'acier et on va jusqu'a faire des compas, mais la montre de poche reste prédominante. En matiére de montre gousset, la maison suisse se met a l'heure martiale via des tocantes destinées aux sapeurs américains (Corps of Engineers). Entre 1912 et 1928, 4 000 piéces sont concues, dont 2500 vont tout droit chez les sapeurs. Mécanisme en acier trempé, dimension dix-neuf lignes, grande seconde chronographiée, éest donc un chronographe. Pour en revenir aux commandes, Omega est en lice également. Une piéce réglementaire, portée par les troupes de transmission du corps expéditionnaire américain engagé en juillet 1918, est fabriquée en 1917. De calibre 13"SO, son cadran est en émail blanc, sa boite en argent ou en métal chromé, avec anses4ils soudées pour le bracelet-laniére. Au niveau de la montrébracelet, Omega n'est pas un bleu, éest au cours de la guerre des Boers (Afrique du Sud) que sont apparues les premiéres, fabriquées industriellement. On comprend qu'Omega roule des mécaniques. Quoiqu'il en soit, Zénith s'occupe des artilleurs et les Sammies sont munis d'US IngersoIl. La-dessus, la guerre se termine. éest l'heure des bilans. L'auteur du Grand Meaulnes, Alain Fournier a été tué a Saint-Rémy, Blaise Cendrars a laissé son bras droit a la légion étrangére et Aragon a survécu aux horreurs qu'il a vues en tant que médecin-auxiliaire. La premiére guerre mondiale a touché 95% de l'Europe. Ce qui se traduit par huit a neuf millions de morts, dont 1.400.000 en France, dix-sept millions de blessés, dont un tiers d'invalides. éest aussi quatre millions de veuves qui n'ont plus que leurs yeux pour pleurer et huit millions d'orphelins. Is auront été bien peu a atteindre le seuil de l'espérance de vie. En 1919, un jour de neige et d'espérance, Vaslav Nijinski danse la guerre. Deux jours avant, il avait predit d un air sombre: Ce n'est pas une vraie paix. la guerre repren dra. Nous n'en sommes qu'au début.

Les Puissances signent force traités, les pauvres s'appauvrissent encore plus et roulent en car rioles, les nouveaux riches se pavanent et roulent en carrosse, Mussolini met le fascisme a la mode en 1922, le dollar est roi, la Russie devient URSS et Hitler manque son coup d'état a Munich l'année suivante. Rien de bon ne se profile a l'horizon. Sauf la télé couleur et les jukébox qui éclosent en 1940. éest ce qui s'appelle une éclipse. En attendant, en 1939, l'Allemagne a déclenché la guerre en envahissant la Pologne et l'ltalie lui a emboîté le pas en déclarant la sienne a la France et a la Grande-Bretagne. éest reparti comme en 14, tout le monde s'y met, que la Deuxiéme Guerre mondiale commence. Aux Etats-Unis, le pli est pris depuis 1917 de se transformer en Zorro. Il leur suffit de remettre la main sur leur panoplie de héros, au chaud dans la naphtaline. En vertu de quoi, Roosevelt intervient dans le conflit aprés le bombardement de Pearl Harbor et expédie ses hommes sur l'ancien continent, chaque soldat étant pourvu d'une montre, partie intégrante de son paquetage. De toutes facons, les puissances en présence disposent de stocks horlogers a faire palir un collectionneur. Les gardétemps qui servaient en temps de paix sont donc sur le pied de guerre. Les pays bénéficiant d'une industrie horlogére propre n'ont pas de probléme, les autres, comme les Britanniques, s'approvisionnent en Suisse en quantité hallucinante. Les Helvetes ne savent plus ou donner du rouage, pour un peu, ils se départiraient de leur lenteur légendaire. Sur le sol francais, ce sont des montres allemandes qui équipent l'armée de terre ou la légion des volontaires francais. Du côté ennemi et germain, les montres-bracelets des forces terrestres sont signées Minerva, Lido, Longines, Revue-Sport, Zenith, Glycine, Doxa ou Glashutte en ce qui concerne les chronographes de l'artillerie, reconnaissables au D.H. (Dienstuhr Heer) qui apparait sur le fond ou sur le côté de la boite. En Grande-Bretagne, les montres de paquetage des Grands-Bretons, qui ont fait l'impasse sur le tea-time national pour partir a la guerre, sont des Jaeger-LeCoultre, Ebel, IWC, Eberhard, Buren Favre-Leuba, Smith, gravée A.T.P. (Army Time Piece) et/ou de la pointe de fleche du War Department sur le fond de la boite et/ou du W.W.W. (Waterproof Wrist Watch).

D 'autre part, Jaeger LeCoultre déploie son ingéniosité dans le matériel d'espionnage tel le Compass, un appareil photo miniature, alors qu'IWC met au point un nouveau systéme de remontage automatique et le nettoyage par ultrasons, et qu'Ingersoll se diversifie dans la serrurerie de haute sécurité. Aux States, Waltham, Ingersoll, Elgin, Bulova, Zenith, Tissot, se prévalent d'orner les poignets des G.I., qui n'ont pas leur pareil pour creuser des tranchées et se camoufler en buisson d'aubépines. Sans oublier Hamilton qui se déméne tant que faire se peut. 18.398 montres de poche et 110.336 montres-bracelets émergent des ateliers en moms de temps qu'il n'en faut pour crier 'feu' a un G.I. haut placé. L'Armistice sonnera le glas de quelques manufactures, uniquement dédiées a la fabrication de montres militaires. Hamilton, Elgin, Waltham y perdent presque leur chemise cependant que les Suisses occupent le terrain en conquérants. Les temps sont durs. Spécialement, qunique dans un autre ordre d'idée, pour les soldats francais qui ont a peine le temps d'embrasser leur femme, de reconnaitre leurs enfants et d'avaler une assiettée de pot-au-feu home made. L'Indochine n'attend pas. En 1946, la France rempile, contre le Viét-Minh cette fois. Les légionnaires du corps expéditionnaire francais qui embarquent pour la péninsule asiatique, emportent des Bulova, Elgin, Waltham, Ebel, Smith et des Stowa. La France a recu deux mille, a deux mille cinq cents Stowa, a titre d'hommage de guerre en 1945. Elles ont toutes une aiguille rouge et sont gravées armée francaise. Les braves sont parés a guerroyer. Ca tombe bien, parce que derriére il y aura la Guerre d'Algérie, tandis que les Américains se consacreront au Vietnam. Nijinski avait raison, ce n'était qu'un début.

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